Appel à communication (clos)

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La question des références dans les recherches relatives aux didactiques des disciplines des sciences sociales et humaines (histoire, géographie et éducation à la citoyenneté) se pose aussi bien dans le quotidien du chercheur qu’à l’échelle de choix fondamentaux orientant toute une recherche et intéresse aussi le formateur qui s’y appuie. Du fait des multiples références possibles (les disciplines homonymes et leur épistémologie, les recherches dans d’autres didactiques, les sciences de l’éducation et les autres sciences sociales, mais aussi les savoirs de la pratique…), cette question s’avère complexe. Paradoxalement elle est peu traitée de manière collective. C’est pourquoi le colloque se propose, dans la suite de travaux parfois anciens[1], de permettre aux chercheurs et aux formateurs de l’expliciter et de la discuter. Une mise en perspective théorique semble de nature à étayer une réflexion prospective au moment où les disciplines sont confrontées à de nouvelles prescriptions (par exemple l’enseignement moral et civique en France), à de nouveaux cadres curriculaires (comme les compétences), à des enjeux renouvelés (la formation didactique des enseignants dans un métier élargi), et, où, partant, de nouvelles recherches s’imposent.

Trois axes ont été retenus. Pour chacun de ces axes, les propositions peuvent porter sur une des didactiques de l’histoire, de la géographie, de l’éducation à la citoyenneté, ou comporter une dimension directement comparative (entre pays, entre disciplines…). Elles se fonderont sur des recherches en cours ou sur une réflexion critique sur des recherches terminées ; la mise en relation des cadres théoriques interrogés et des données empiriques est souhaitable.

 Axe 1 : Construction et reconstruction des cadres de références

 L’histoire d’un champ de recherche est une composante fondamentale de son institutionnalisation et de son fonctionnement. Au sein de cette histoire, la construction et la reconstruction des cadres de référence sont essentielles, à la fois pour chaque recherche et pour la constitution du champ. Les recherches en didactiques de l’histoire, de la géographie et de l’éducation à la citoyenneté (à l’identification longtemps mal assurée et à la légitimité encore contestée) gagnent donc à procéder à un retour réflexif sur les évolutions qui ont eu lieu au cours des quelques décennies de leur histoire, et sur celles qui sont à l’œuvre aujourd’hui. Dans cette perspective, des travaux d’ordre historique et/ou épistémologique pourront mettre en avant les origines et les emprunts, les articulations et les oppositions, mais aussi les spécificités des références mises en jeux dans ces didactiques. Ces travaux pourront notamment s’appuyer sur des corpus constitués de textes de recherche (au sein de séries, de textes qui se répondent, de comparaisons entre traditions, etc.). Il s’agira d’interroger la pertinence actuelle des cadres théoriques construits depuis vingt ou trente ans. Sont-ils encore opératoires au regard de l’évolution de la société, de l’enseignement et des prescriptions officielles, parmi lesquelles l’inscription de nouveaux objets et de nouvelles éducations ? De nouvelles orientations apparaissent-elles dans nos didactiques et, le cas échéant, sur quelles références s’appuient-elles ? Si les recherches en didactiques de l’histoire ou de la géographie peuvent (quoique de manière inégale) s’ancrer dans leur discipline homonyme (dont les recherches tendent à mobiliser des cadres de références de plus en plus diversifiés), qu’en est-il pour la didactique de l’éducation à la citoyenneté pour laquelle il n’en existe pas et qui peut s’adosser à divers domaines universitaires comme à des pratiques sociales variées ?

La réflexion peut également se déployer en direction d’une description de recherches en train de se faire, qu’il s’agisse d’un travail individuel de type doctoral ou d’un travail collectif, afin d’explorer les productions effectives de cadres de référence au cours d’une recherche. Ce sont alors les questionnements et les avancées sur les cadres de référence propres à la recherche en question qui sont intéressants : comment articuler des références différentes, des références hétérogènes ? Comment la progression empirique de la recherche influence-t-elle les choix en ce qui concerne les références théoriques ?

Dans ces deux perspectives, il s’agit moins de proposer des témoignages que des analyses et des mises en perspective épistémologiques ou historiques, fondées sur des matériaux empiriques. Certaines des propositions pourraient, en privilégiant une approche comparatiste entre recherches, références, contextes, s’orienter vers une approche favorisant l’identification de concepts nomades entre des pays, entre nos didactiques et d’autres didactiques, entre des didactiques et d’autres sciences sociales… Sous cet angle, les concepts constituent une entrée dans l’analyse des cadres de référence dans lesquels ils prennent sens. La question des références pourrait également se focaliser sur le contexte dans lequel évolue(nt) le/les chercheur(s) ou le(s) doctorant(s), parfois isolé(s) au sein de laboratoires pluridisciplinaires ouverts sur les sciences de l’éducation, ou dans un laboratoire orienté vers une des disciplines de référence des contenus scolaires, parfois intégré(s) d’emblée dans une équipe et des séminaires dont la dynamique s’articule à un cadre de référence didactique explicite.

Axe 2 : Tension entre références : épistémologies, savoirs pratiques, disciplines contributives…

 Tout comme les nécessités de certaines problématiques de recherche, les discussions externes peuvent aboutir à des emprunts, souvent fréquents, aux sciences sociales et humaines comme la psychologie (par exemple, les représentations sociales), la sociologie (par exemple, la traduction entre des instances sociales), aux sciences de l’éducation (par exemple, le geste professionnel). Quelles tensions peuvent résulter de tels emprunts lorsqu’il s’agit de les faire coexister dans une recherche avec les références apparemment plus évidentes des didactiques de l’histoire, de la géographie, de l’éducation à la citoyenneté ?

L’évidence de certaines références académiques (par exemple les épistémologies de l’histoire et de la géographie, des théories ou des cadres théoriques didactiques…), pourrait aussi conduire à en rester à un dualisme réducteur entre savoirs théoriques et savoirs pratiques. Le dépassement de cet écueil peut reposer sur l’attention portée aux tensions entre références, au-delà de leur simple présentation. Ainsi, au cœur même des disciplines académiques de référence que sont l’histoire et la géographie émergent des discussions internes, sur la variété des « paradigmes » possibles, et des discussions externes qui croisent les différentes sciences sociales et humaines et mettent en lumière des questions épistémologiques fondamentales dont la pertinence pour les didactiques doit faire l’objet de réflexion. Pour l’éducation à la citoyenneté, la multiplicité des références académiques (droit, sciences politiques, philosophie, etc.) ne suffit pas à épuiser la question du fait de la présence croissante de références liées aux acteurs sociaux eux-mêmes. Toutefois il ne s’agit pas ici d’analyser les références des contenus scolaires mais bien les références mises en œuvre dans les recherches pour penser les enseignements et les apprentissages. Or les pratiques produisent aussi des références en acte pour prévoir, interpréter, construire et reconstruire enseignement et apprentissage. Comment les chercheurs les gèrent-ils ? Quelle place font-ils dans leurs cadres théoriques à ceux que mobilisent l’épistémologie pratique des enseignants ainsi que celle des élèves quand il s’agit de penser leur(s) histoire(s), leur(s) espace (s), leur(s) socialisation(s) ?

Enfin les possibilités de dépasser le dualisme théorie/pratique peuvent être explorées du côté des demandes sociales qui se multiplient, aussi bien dans et en dehors du monde scolaire, pour définir de nouveaux objets et de nouvelles questions politiques, sociales et environnementales qui s’imposent et réclament des références. Dans cette perspective, leur définition et leur mise en concurrence potentielle ou réelle constituent des enjeux importants pour les recherches en didactiques de l’histoire, de la géographie et de l’éducation à la citoyenneté, notamment au regard des forces sociales qui s’y intéressent et qui peuvent également proposer des savoirs directement produits par des pratiques non académiques. Autrement dit, quelle est la posture des chercheurs dès lors qu’une part au moins des références de leurs travaux est bien de nature sociopolitique et comment ces références jouent-elles dans les recherches ?

Les contributions, dans l’une ou l’autre des perspectives précédentes, pourront aussi questionner la légitimité et les processus de légitimation des recherches, en particulier selon les positions et les contextes institutionnels ou culturels dans lesquels elles se développent, et les tensions qui peuvent en résulter.

Axe 3 : Relations entre références et usages professionnels et institutionnels

Cet axe doit permettre de travailler les relations entre les cadres de référence et leur « mise en œuvre » dans les curricula, dans les pratiques de formation et dans les pratiques enseignantes. Il accueillera notamment les contributions qui interrogent la manière dont les références (quelles qu’elles soient) mobilisées dans les recherches agissent ou n’agissent pas, induisent des innovations ou des résistances, plus largement sont recontextualisées en direction d’une pratique et de contenus d’enseignement partagés dans la profession, et/ou entrent dans la culture professionnelle. Nombre de chercheurs en didactique de l’histoire, de la géographie, de l’éducation à la citoyenneté sont aussi des formateurs d’enseignants : comment opèrent-ils ce transfert de références ? L’influence des chercheurs en didactiques est très variable selon les contextes : légitime ici, elle est tenue pour négligeable là ; convoqués ici pour produire des aides didactiques, ces chercheurs sont tenus en méfiance ailleurs. La comparaison entre premier et second degré, mais aussi entre différents contextes nationaux, peut être ici particulièrement enrichissante. La question des références liées aux effets de contextualisation pourra également être abordée sous l’angle des contextes d’enseignement ou de formation (par exemple le contexte scolaire multiculturel, le contexte instrumenté par les technologies numériques…).

Une approche spécifique peut concerner la façon dont les références en didactiques peuvent réellement trouver une place dans la formation au métier d’enseignant, alors même que la conception du métier et la définition des compétences professionnelles tendent de plus en plus à privilégier ce qui serait indépendant des disciplines enseignées. Ceci impose-t-il des recompositions nouvelles ?

Cet axe interroge aussi les identités des chercheurs et leurs subjectivités, voire le poids d’une démarche militante dans les choix « impliqués » opérés et le cadre scientifique retenu. Il pose la question des rapports entre la position (institutionnelle notamment), les dispositions (liées à l’expérience en particulier) et les prises de position du chercheur dans l’activité de recherche, lui qui est souvent simultanément enseignant et/ou formateur, et qui choisit des dispositifs de recherche plus ou moins collaboratifs avec les acteurs dont il vise à étudier les pratiques et les discours.



[1] Revue française de pédagogie, n°85, 1988 ; Revue française de pédagogie, n°106, 1994 ; Dossier « 15 ans de recherches en didactique de l’histoire-géographie », Perspectives documentaires en éducation, n°53, 2001 ; Historiens & Géographes, n°394 et 396, 2006 ; Lautier N. & Allieu-Mary N., La didactique de l’histoire, Revue française de pédagogie, n°162, 2008 ; Souplet C., « entretien avec C. Grataloup », Recherches en didactiques, n°21, 2016

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